Promesse de Félix Tshisekedi : « Nous allons combattre ce coulage et réussir à mieux redistribuer la richesse sur l’ensemble du territoire »
Peu avant son voyage officiel en Belgique, le chef de l’État Félix-Antoine Tshisekedi a enfoncé le clou sur ce qui risque de perturber son mandat, à savoir l’insuffisance de moyens pour relever les nombreux défis qu’il s’est fixés. Selon lui, 80% des recettes publiques échappent au Trésor. En termes de chiffres, cela équivaut à des milliards USD. Fatshi promet de mobiliser tout le gouvernement pour inverser cette tendance. Les regards sont plus fixés sur Sele Yalaghuli, ministre des Finances, de qui le chef de l’État attend des actions idoines pour respecter ses engagements pris auprès du souverain primaire
Six ans après les assises sur le coulage des recettes publiques organisées à Kinshasa, en mai 2013, le Trésor public est toujours saigné à blanc. À l’époque, tous les services de l’État, à savoir les régies financières et les services générateurs des recettes, s’étaient engagés, aux côtés du gouvernement, de mobiliser pour apporter une solution au lancinant problème de coulage des recettes publiques. La problématique de la lutte contre la fraude et les fuites de recettes publiques en RDC était posée.
À l’issue des échanges, plusieurs recommandations ont été formulées pour mettre fin à ce fléau qui rongeait le Trésor public. Par coulage, il fallait cerner des recettes qui échappent au trésor public suite, notamment de la fraude, de l’évasion fiscale, des détournements, de la corruption et du manque de performance des agents chargés de la mobilisation des recettes.
Ces recettes sont celles qui sont mobilisées par les trois traditionnelles régies financières, à savoir la Direction générale des impôts (DGI), la Direction générale des douanes et accises (DGDA) et la Direction générale des recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participations (DGRAD).
Six ans plus tard, le grand séminaire sur le coulage des recettes publiques reste d’actualité. À ce jour, d’énormes sommes d’argent, évaluées à des milliards de dollars américains, sont détournées du Trésor public. Au plus haut niveau de l’État, on est bien conscient du problème.
UN TROU DE 80 %
Peu avant de prendre son avion pour la Belgique, le chef de l’État a évoqué le sujet, dans l’interview qu’il a accordée à Colette Braeckman du journal belge Le Soir. « Actuellement 80 % de nos recettes échappent au Trésor », s’est exclamé le chef de l’Etat.
Devant se contenter d’un modique budget de moins de cinq (5) milliards de dollars américains en ressources propres, Félix Tshisekedi pense qu’il est possible de mobiliser plus de moyens en faveur de l’État. « En numérisant l’économie, nous pensons pouvoir rationaliser les dépenses et ramener plus de recettes dans le trésor public », note ce dernier.
Entre-temps, il promet de « lutter davantage contre la corruption pour combattre ce coulage et réussir à mieux redistribuer la richesse sur l’ensemble du territoire ».
IL Y A QUATRE ANS LUZOLO BAMBI LANÇAIT LE PAVÉ DANS LA MARE
En 2015, Luzolo Bambi Lessa, alors conseiller spécial de Joseph Kabila en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, faisait part d’un manque à gagner annuel de près de 15 milliards USD au Trésor dû au coulage des recettes publiques.
« La RDC enregistre chaque année une fraude fiscale et des détournements évalués à environ 15 milliards de dollars américains », lançait Luzolo Bambi Lessa, suscitant un débat général sur l’ensemble de la République. Malheureusement, le cri d’alarme de Luzolo Bambi est resté lettre morte. Bien au contraire, l’ancien Garde des sceaux s’est buté à une farouche résistance de ceux-là même qui sont censés traquer ces « criminels à col blanc ».
Dans sa volonté de donner à l’État les moyens de sa politique, Luzolo Bambi pensait avoir le soutien des autorités politiques pour soutenir sa campagne. Mal lui en prit. Bien au contraire, l’État congolais a brillé par son inaction, faisant fi de cette alerte. « La corruption est devenue endémique. Il faut l’arrêter et poursuivre ce qui a été fait avant mais autrement aujourd’hui », s’était indigné Luzolo Bambi.
Une fois de plus, ce sont les trois traditionnelles régies financières de la RDC qui étaient visées. La DGI, la DGRAD et la DGDA étaient au banc des accusés. Les régies financières ne sont pas les seules coupables du coulage des recettes publiques.
Dans la plupart des cas, les régies financières bénéficient de la grande complicité des services générateurs, avec de grandes ramifications dans le monde des affaires. Au sommet de la pyramide, il y a le plus souvent une main invisible politique qui couvre et entretient la maffia, faisant perdre à l’État congolais environ 15 milliards de dollars américains, soit 80% des recettes non canalisées vers le Trésor.
Par extrapolation, on se rend bien compte que la RDC est en mesure d’aligner par an un budget de plus de 20 milliards USD en ressources propres. Mais, la voie pour y arriver passe inévitablement par un combat acharné contre le coulage des recettes publiques, fruit de la corruption, de la fraude et de l’évasion fiscale.
En effet, ce combat, qui nécessite une mobilisation à l’échelle nationale, n’est pas du seul apanage du chef de l’État, du Premier ministre ou du ministre des Finances qui a la tutelle des régies financières. C’est un combat de tout citoyen, soucieux de donner à l’État congolais les moyens de sa politique.
Alors qu’un vent de renouveau souffle en République démocratique du Congo, par le fait de l’alternance démocratique de janvier dernier, on s’attend à ce qu’une nouvelle dynamique se mette en place. En tout cas, au ministère des Finances où siège Sele Yalaghuli, nouveau ministre des Finances, on sent une nette volonté de faire mieux pour maximiser les recettes de l’État.
LE GRAND CHANTIER DE SELE : BOUCHER LES TROUS DU COULAGE
Lors de sa première réunion de prise de contact avec les responsables de trois régies financières de la RDC, Sele Yalaghuli, qui connait très bien les milieux pour avoir dirigé pendant près de trois ans la DGI, a dévoilé son plan d’attaque pour que l’État rentre réellement dans ses droits en termes des recettes. À l’instar du chef de l’État qui pense à la numérisation de l’économie, Sele Yalaghuli mise aussi sur la digitalisation des opérations fiscales et parafiscales, en travaillant parallèlement à l’interconnexion des régies financières.
Le système fiscal congolais étant déclaratif, le ministre des Finances pense fiabiliser les déclarations fiscales, tout en accélérant des réformes pour donner plus de visibilité au processus d’encadrement. L’objectif est d’accroitre la pression fiscale et la ramener au-delà de 9%, comme c’est le cas actuellement, pour se rapprocher de la moyenne de l’Afrique sub-saharienne.
Dans une publication récente sur les recettes publiques en Afrique, l’OCDE indiquait que la mobilisation des recettes fiscales est en progression, se situant à 19,1 % du PIB en moyenne pour les pays étudiés, mais demeurent en retrait par rapport à la performance d’autres régions dans le monde (22,3 % en Amérique latine dont les pays ont une structure fiscale comparable à ceux d’Afrique).
Dans une interview à Jeune Afrique, Federico Bonaglia, Directeur adjoint du Centre de développement de l’OCDE, indiquait que « cette bonne performance des économies africaines est liée d’abord à leur forte croissance, ensuite à l’augmentation des capacités à taxer, notamment de la TVA, des administrations fiscales ». Cependant, il craint que la fiscalité ne devienne régressive sur le continent. Il part du constat selon lequel les impôts sur les biens et services constituent aujourd’hui l’essentiel des recettes fiscales (57,2 % en moyenne), la TVA arrivant en tête, suivie des impôts sur le revenu et sur les bénéfices (32,4 %).
Cette situation soulève plusieurs interrogations sur la capacité des pays africains à mobiliser davantage de recettes fiscales. Plus spécifiquement, les pays africains collecteraient-ils trop d’impôts indirects et pas assez d’impôts directs ? En cette matière, la RDC ne fait pas exception.
Pour ne pas asphyxier les contribuables, au ministère des Finances, on pense donc associer les régies financières et tous les services de l’État au grand travail des réformes à entreprendre pour rationaliser la mobilisation des recettes publiques. À terme, il s’agit, entre autres, de fiscaliser de larges pans du secteur informel qui occupent, selon des statistiques les plus récentes, environ 70% de l’activité économique interne. Sans compter d’autres réformes législatives et structurelles inscrites dans l’agenda de Sele Yalaghuli.
Le chantier de la mobilisation des recettes publiques est vaste. Il est si vaste que le ministre des Finances ne peut pas à lui seul s’attaquer à l’hydre qui soustrait chaque année à l’État congolais 80% de ses recettes publiques. Sele Yalaguli a besoin d’une réelle appropriation nationale à son action. Il s’agit du civisme fiscal qui doit caractériser tout citoyen.
Autrement dit, mobiliser les recettes publiques est une affaire de tous. Tout comme, le rêve d’un budget de l’État de plus de 20 milliards USD est encore possible. Le chef de l’État et tout le gouvernement y croient. C’est au peuple de leur apporter son concours pour que ce rêve devienne réalité.
Au ministère des Finances, on y travaille déjà. C’est la promesse faite par Sele Yalaghuli, juste après son entrée en fonction le 7 septembre 2019.