L'économie de l'Afrique du Sud est entrée en « récession technique » pour la première fois en près d'une décennie. La nouvelle est tombée ce mardi comme un couperet. Selon, l'Office sud-africain de la statistique (StatsSA) le produit intérieur brut a reculé de 0,7 % au deuxième trimestre, alors que les prévisions tablaient sur une croissance de 0,6 %. Cela fait suite à une contraction de 2,6 % au trimestre précédent – pénalisé par la faible performance du secteur agricole. Une récession est en principe définie comme deux trimestres consécutifs de baisse du produit intérieur brut et indique un ralentissement prolongé de l'activité économique. Pour l'Afrique du Sud, ce ralentissement inattendu intervient dans un contexte politique, économique et social tendu. En effet, depuis son arrivée au pouvoir, le président Cyril Ramaphosa ne cesse de marteler sa volonté de relancer l'économie du pays après une décennie de stagnation. Comment s'explique la récession d'aujourd'hui ? Peut-on déjà y entrevoir les craintes des uns et des autres autour de la réforme agraire telle qu'annoncée par Ramaphosa ? Il faut noter que l'Afrique du Sud a connu sa dernière récession durant la crise financière mondiale de 2008-2009 avec trois trimestres consécutifs de déclin économique... quelques mois seulement après l'élection de Jacob Zuma à la tête du pays.
La chute brutale du secteur agricole
L'Office sud-africain de la statistique (StatsSA) explique que la contraction a été en partie due à la faible performance du secteur agricole sud-africain, qui a diminué de 11 % après une sécheresse majeure dans certaines parties du Cap-Occidental au début de cette année. La conséquence de cette sécheresse s'est fait ressentir par la baisse de la production de grandes cultures et de produits horticoles.
Parallèlement, les secteurs du commerce et des transports ont également connu une baisse de la production. « Nous sommes en récession. Nous avons enregistré une contraction au premier trimestre (...) et maintenant au deuxième trimestre avec une baisse de 0,7 % », a déclaré le statisticien en chef du pays, Risenga Maluleke.
Les perspectives ne sont pas meilleures pour le secteur manufacturier. L'activité du secteur, qui représente environ 13 % du PIB, a atteint son plus bas niveau en 13 mois. À l'inverse, « les mines, les finances, l'immobilier et les services ont été les principaux contributeurs » de richesse, a ajouté l'Office.
Une croissance en panne depuis une décennie
L'Afrique du Sud se débat depuis des années avec une croissance molle et un taux de chômage record à 27,7 %. Elle a enregistré une croissance de 1,3 % en 2017 (+ 0,6 % en 2016) et les analystes anticipent un chiffre de 1,8 % pour 2018. Le pays le plus développé d'Afrique a déjà connu un épisode de six mois de récession technique fin 2016 et début 2017. L'annonce de cette nouvelle récession vient souligner la fragilité de l'économie sud-africaine dans un contexte de tourments pour les marchés émergents. Et ce que ne dit pas l'office de la statistique, c'est que l'économie ne peut vraiment redémarrer que si les investisseurs sont prêts à engager leur argent pour développer leurs activités. Or cela ne semble plus le cas dans ce contexte de croissance lente et molle. « Les données suggèrent que l'économie a progressé de 0,5 % en rythme trimestriel, corrigé des variations saisonnières et annualisées, mais nous avertissons qu'il existe un risque de prévision bidirectionnel élevé selon qu'il y aura des révisions aux données du premier trimestre », avertit Mamello Matikinca, économiste en chef de la First National Bank, sur BusinessLive.
Absence d'investissement et chômage en hausse
La conséquence directe de ce manque d'investissement se mesure sur le plan du chômage. Pour l'ensemble du pays, il a augmenté de 0,5 % au deuxième trimestre pour atteindre 27,2 %. Le taux de chômage chez les jeunes, âgés de 15 à 34 ans, se situe à 38,8 %, tandis que le taux de chômage des jeunes diplômés se situe à 11,9 %. En réponse au fléau du chômage des jeunes, le président Ramaphosa a lancé l'initiative Youth Employment Services pour créer un demi-million d'emplois au cours des trois prochaines années.
Un marché qui ne rassure pas les investisseurs étrangers
Pour de nombreux analystes, après avoir rassuré les marchés, et notamment les investisseurs étrangers, l'optimisme autour de Ramaphosa s'est estompé à mesure que les réformes structurelles ne sont pas mises en œuvre. D'autant plus que les guerres commerciales mondiales minent le contexte international. L'Afrique du Sud n'est bien sûr pas le seul pays émergent à connaître ces troubles, il faut regarder ce qu'il se passe sur les autres marchés comme l'Argentine ou la Turquie.
« Ces chiffres publiés par l'Office sud-africain de la statistique (StatsSA) reflètent les opportunités manquées ces dernières années pour l'économie et l'incapacité (du pouvoir) d'instaurer les mesures de confiance susceptibles de renforcer les créations d'emplois et la confiance des investisseurs », a commenté sur Twitter l'analyste Daniel Silke.
La réforme agraire au cœur des attentes
Jason Tuvey, économiste principal des marchés émergents chez Capital Economics, cité par l'agence Reuters affirme au contraire qu'il s'attend à une amélioration des conditions économiques pour le reste de l'année. « Les données d'aujourd'hui ne feront que renforcer l'espoir que la présidence de Cyril Ramaphosa conduira à un redressement marqué de la situation économique de l'Afrique du Sud. »
Le chef de l'État, qui a succédé en février à Jacob Zuma, a promis de relancer l'économie, notamment en dopant les investissements étrangers, et d'éradiquer la corruption qui gangrène son pays. Il tente à tout prix d'éviter une nouvelle dégradation de la note financière de son pays par les agences de notation, qui l'avaient précipité en 2017 dans les catégories spéculatives.
Derrière toutes ces inquiétudes, Cyril Ramaphosa doit rapidement rassurer sur le cadre de sa future réforme agraire. Car c'est bien là le nœud de nombreux problèmes que traverse actuellement le pays. En effet, le nouveau président veut autoriser les expropriations sans indemnisation pour corriger, au profit de la majorité noire, les injustices de l'apartheid. Un projet qui ne rassure pas du tout les marchés, même si Theresa May et Xi Jinping ont donné leur accord. Ce sont deux avis qui étaient attendus et qui pourraient contrebalancer les propos inquiétants tenus en juillet par le ministre de l'Intérieur australien Peter Dutton et qui avaient agité la communauté internationale. Il faudra pourtant attendre de longs mois pour savoir de quel côté vont pencher les marchés après ces diverses annonces et scruter attentivement le rand, en dégringolade.
Avec le Point