D’ores et déjà, le texte a été déclaré recevable par la plénière du Sénat d’hier mardi 26 avril, à l’issue des réponses de son auteur aux préoccupations de ses collègues.
Le Sénat a déclaré recevable, au cours de sa plénière d’hier mardi 26 avril, la proposition de loi modifiant et complétant la loi sur l’agriculture de 2011. Ce, après que l’initiateur du texte, le sénateur Modeste Bahati Lukwebo, a répondu aux préoccupations de ses collègues exprimées lors de la plénière du jeudi 21 avril, consacrée notamment, à la présentation de ladite proposition de loi.
Après débat, le texte déclaré recevable a aussitôt été confiée à la Commission développement durable, ressources naturelles et tourisme, ainsi qu’à la Commission des Entités territoriales décentralisées (ETD), pour enrichissement. Un délai de huit jours a été accordé à ladite commission pour finir ce travail.
Modeste Bahati Lukwebo a, avant tout, répondu aux préoccupations de ses collègues sénateurs qui touchaient principalement à la crainte de perdre la souveraineté en acceptant les investisseurs étrangers dans le secteur de l’agriculture en RDC. Le président du Sénat, auteur de cette proposition de loi, a rassuré la plénière du caractère incessible du patrimoine naturel du pays. « Aucune terre ne sera vendue aux étrangers, car prohibée par l’article 80 du Code foncier », promet Modeste Bahati.
« LES ÉTRANGERS NE VONT PAS ENVAHIR NOS TERRES »
« La grande préoccupation a été celle de savoir si en ouvrant l’actionnariat, les étrangers ne vont pas envahir nos terres ? Je voudrais solennellement dire qu’il n’en est pas question. D’abord, quand nous parlons des investisseurs, c’est à la fois des nationaux et des étrangers. Les étrangers, eux, conformément aux articles 110 et 111 du Code foncier, n’ont droit qu’à l’emphytéose. C’est-à-dire un bail de terre pour une durée de 25 ans renouvelables. C’est juste une location de la terre, mais celle-ci appartiendra toujours à l’Etat congolais. Je voudrais que les gens puissent dissiper ce malentendu. Nous ouvrons seulement le champ pour que ceux qui veulent investir dans l’agriculture viennent et qu’on leur accorde les facilités, les allègements, qu’on puisse créer une banque spécialisée pour financer l’agriculture à des taux réduits, et que les importateurs des intrants agricoles ne puissent plus payer les droits de douane et une fiscalité qui puisse motiver les uns et les autres à travailler dans le secteur de l’agriculture« , a-t-il renchéri.
Modeste Bahati Lukwebo a, par ailleurs, insisté sur l’apport de sa proposition de loi aux efforts de diversification de l’économie nationale, cheval de bataille du président de la République Félix-Antoine Tshisekedi. L’élu des élus du Sud-Kivu a affirmé que son texte a le mérite de lutter contre l’insuffisance alimentaire et de permettre au pays d’économiser les devises dépensées dans l’Importation des biens de première nécessité.
« Pour diversifier l’Economie nationale, nous devons le faire avec l’agriculture. Celle-ci a cet avantage de toucher à la plus grande partie de la population. Elle nous permet de lutter contre l’insuffisance alimentaire, de bien manger, d’être en bonne santé, de lutter contre l’exode rural et d’économiser les devises qu’on sort chaque jour, mois, année pour importer à manger » , a martelé Modeste Bahati.
CONSTRUIRE DES ROUTES DE DESSERTE AGRICOLE
Réagissant à la question d’un sénateur sur le rôle du Gouvernement central et des provinces dans la politique agricole, Modeste Bahati a affirmé qu’il revient à chaque province d’élaborer son programme agricole et forestier, conformément à l’article 204, alinéa 20 de la Constitution.
Parlant des routes de desserte agricole, le président du Sénat a affirmé que la politique économique du gouvernement doit nécessairement intégrer la production, l’énergie, le stockage, le transport, le financement, la commercialisation et même l’exportation dans un plan national.
Avant de clore son propos, Modeste Bahati a affirmé avoir fait siennes les propositions et suggestions positives formulées par ses collègues sénateurs.
PLUSIEURS INNOVATIONS
Cette proposition de loi du président du Sénat vient remplacer la Loi promulguée le 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture. Ses principales innovations sont, entre autres, la création d’un Fonds de développement agricole devant soutenir les agriculteurs et la nécessité d’accorder des allègements fiscaux aux opérateurs de ce secteur.
Ci-dessous l’intégralité de la réplique de Modeste Bahati Lukwebo.
Orly-Darel NGIAMBUKULU
REPONSES DU SENATEUR MODESTE BAHATI LUKWEBO AUX PREOCCUPATIONS DE SES COLLEGUES SENATEURS A LA SUITE DE LA PRESENTATION DE LA PROPOSITION DE LOI MODIFIANT ET COMPLETANT LA LOI N°11/022 DU 24 DECEMBRE 2011 PORTANT PRINCIPES FONDAMENTAUX RELATFS A L’AGRICULTURE
Chers Collègues Sénateurs,
Il vous a plu de réagir à la présentation de ma proposition de loi modifiant et complétant de loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture.
Lors de la plénière du 21 avril 2022 consacrée à la présentation de ladite loi, les Collègues Sénateurs ci-après ont soulevé plusieurs préoccupations aussi pertinentes qu’enrichissantes les unes sous forme de questions, les autres étant des contributions en vue de ramener l’agriculture à la place qu’elle mérite ; c’est-à-dire la locomotive de l’économie nationale.
Il s’agit des Honorables :
Evariste BOSHAB MABUDJ-ma-BILENGE, Jean Pierre ZAGBALAFIO ANGALA, Dieudonné MANDZA ANDIA, Vicky KATUMWA MUKALAY, André KIMBUTA YANGO, Célestine Hortense MUKALAY KIONDE, Jean Philibert MABAYA GIZI AMINE, Berthold ULUNGU EKUNDA LUKATA, Léonard SHE OKITUNDU LUNDULA, Richard BAMPUNGA NDOMBO BENTEKE, Jean-Laury LILONGO BOTSHILI BANZA, KAUMBA LUFUNDA, John TIBASIMA MBOGEMU ATEENYI, Jean-Pierre BATUMOKO AFOZUNDE, Colette LUKAMATA NKULU, Pauline MONA LUXE MONA KAYOKO, José MAKILA SUMANDA, Francine MUYUMBA FURAHA, Samy BADIBANGA NTITA et Thalie DASYO MOKFE.
Aussi, les Collègues Ghislain CHIKEZ DIEMU et Augustin ILUNGA CIVUILA nous ont fait parvenir leurs contributions par écrit sur le financement de l’agriculture congolaise et la mise en jachère des terres.
L’objectif de la modification étant celui de la diversification de l’économie nationale, de rendre attractif le secteur de l’agriculture tant pour les investisseurs nationaux qu’étrangers tout en laissant l’exclusivité de la propriété de la terre à l’Etat congolais, la participation obligatoire des congolais dans toute entreprise d’exploitation agricole, l’allègement fiscal et douanier du secteur agricole tant en ce qui concerne les intrants et matériels agricoles que l’accès facile et moins coûteux au crédit agricole, la législation appropriée ainsi que la politique agricole tant au niveau national que provincial et tant d’autres.
Permettez-moi, Chers Collègues Sénateurs, de relever quelques inquiétudes et suggestions formulées par les illustres Collègues :
a) DES INQUIETUDES :
De manière globale, les inquiétudes des Honorables Sénateurs sont les suivantes :
– Peu d’initiatives de la part des pouvoirs publics pour soutenir les agriculteurs ;
– Manque si pas mauvais état des routes de desserte agricole et carence énergétique à travers tout le pays ;
– Non application de la loi n°11/022 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture depuis 10 ans;
– Absence des mesures d’application de la loi sur l’agriculture ;
– Problème de droit que poserait l’article 18 par rapport à l’ordonnance recommandée dans la loi foncière et l’arrêté interministériel envisagée dans la présente proposition de loi ;
– Manque ou insuffisance de subvention de l’Etat à la production agricole ;
– Non application du traité de Maputo portant sur le relèvement à 10% le budget à allouer à l’agriculture;
– Non-respect de la loi sur la sous-traitance ;
– Absence de mécanisme garantissant la sécurité alimentaire de la RDC ;
– Absence de mesures incitatives des investisseurs nationaux ;
– Amplification de l’exode rural par manque de mesures incitatives pour la sédentarisation des paysans ;
– Le droit de préemption à accorder aux nationaux en cas de revente d’actifs d’entreprises agricoles ;
– Inexistence d’usines de fabrication des outils aratoires et celles de production d’engrais ;
– Problématique de certains étrangers qui ne respectent pas nos lois ;
– Absence d’édits relatifs à la protection et à la cartographie des domaines agricoles coutumiers ;
– Comment propulser les cultures pérennes lors de la conclusion des contrats agricoles ;
– Quid de la réhabilitation des centres de recherche en agronomie ?
– Comment relancer des industries agroalimentaires ;
– Négligence du secteur agricole au profit du secteur minier ;
– Les modalités d’acquisition des concessions agricoles ;
– Les dispositions prises pour les plantations abandonnées ;
– L’élaboration des édits relatifs à la protection et à la cartographie des domaines agricoles coutumiers ;
– L’intégration de la notion de la » minorité de blocage » à l’article 16 ;
– Le manque d’un code des investissements préférentiel dans le secteur agricole ;
– La transformation des produits agricoles ;
– Les frustrations dues au fait que certains propriétaires sont illégalement dépossédés de leurs terres.
b) DES SUGGESTIONS :
J’ai résumé les suggestions des Collègues Sénateurs en ceci:
– Intégrer les Ministères de l’Aménagement du Territoire, de l’Industrie, de l’Elevage, du Développement Rural et des Infrastructures et Travaux Publics sur la liste des Ministères cités à l’article 11 ;
– Intégrer l’article 16 bis à l’article 16 ;
– Envisager la création d’une banque de crédit agricole ;
– Respecter la Constitution, en laissant aux provinces l’élaboration des programmes sur l’agriculture et l’élaboration des normes au Gouvernement central ;
– Ajouter un titre, dans la loi, pour faire ressortir la relation entre le Gouvernement central et les provinces, en matière agricole ;
– Inciter les élus à participer à l’activité agricole afin de faciliter la création d’une chaîne de valeur agricole dans leurs circonscriptions électorales en emblavant au moins 10 hectares et en disposant d’un tracteur ;
– Réduire le délai de forclusion pour les terres agricoles non mises en valeur à moins de 5 ans et prévoir une mise en demeure avant la forclusion ;
– Utiliser la main d’œuvre locale dans l’exécution des contrats agricoles ;
– Appliquer les mesures incitatives pour les agriculteurs nationaux ;
– Allouer au moins 10 % du Budget au secteur agricole;
– Aider les Assemblées provinciales à élaborer des édits dans ce domaine ;
– Formuler des recommandations devant accompagner cette proposition de loi ;
– Libéralisation du secteur agricole ;
– Relancer l’agriculture intensive en s’inspirant des expériences sud-africaine et nigériane et même en faisant revenir » les blancs » ;
– Relèvement des parts sociales de 10% à 20% en faveur des congolais.
c) REPONSES AUX QUESTIONS SPECIFIQUES
1. De la crainte de perdre la souveraineté en acceptant les investisseurs étrangers dans l’agriculture : Lorsque nous parlons des investisseurs, il s’agit à la fois des nationaux et des étrangers. La terre appartiendra toujours à l’Etat conformément à la Loi foncière. La véritable souveraineté ne rime pas avec la pauvreté. Or, la croissance dans le secteur agricole est la seule qui soit inclusive du fait qu’elle touche à la grande couche de la population, elle crée plusieurs emplois ; elle compense les dépenses d’importation en devises ; elle réduit la pauvreté ; elle assure l’autosuffisance alimentaire et par ricochet elle contribue à la bonne santé ;
2. Du niveau de participation des nationaux ou de l’Etat dans les entreprises agricoles avec les investisseurs étrangers : il est indéniable que les congolais ne disposent pas suffisamment de capitaux pour créer ou participer aux capitaux d’une agro-industrie. A ne considérer qu’une entreprise de petite taille avec quelques machines et tracteurs agricoles au capital initial de 25 millions USD, l’apport de 10% se monte à 2,5 millions USD qui ne sont pas à la portée de tous.
L’exemple de la FEC est une preuve que l’économie congolaise est, en termes de chiffres d’affaires, détenue à 85% par les étrangers. C’est donc par modestie et réalisme que nous proposons un minimum de 10% de participation. Ce qui n’empêche que celui qui a plus y mette davantage dans le capital.
3. De la minorité de blocage dans la prise des décisions des Sociétés : la constitution des entreprises doit être conforme au droit OHADA en vigueur en RDC ;
4. Du rôle du Gouvernement central et des Provinces dans la politique agricole : il revient à chaque Province d’élaborer son programme agricole et forestier conformément à l’article 204 alinéa 20 de la Constitution ;
5. Des routes de desserte agricole : la politique économique du gouvernement doit nécessairement intégrer la production, l’énergie, le stockage, le transport, le financement, la commercialisation et même l’exportation dans un plan national.
6. De la main-d’œuvre locale et de la sous-traitance : la législation existe déjà. La loi n°17/001 du 08 février 2017 fixe les règles applicables à la sous-traitance dans le secteur privé. Cette loi rend obligatoire la sous-traitance des activités annexes et connexes de l’activité principale et son attribution, quelle que soit sa nature, aux entreprises congolaises à capitaux congolais en vue d’en assurer la promotion et favoriser ainsi l’émergence d’une classe moyenne. Il suffira d’appliquer strictement ladite loi.
7. Du financement de l’agriculture : D’accord pour la création d’une banque spécialisée pour l’agriculture au lieu de passer par les banques commerciales. Un amendement sera intégré.
8. Du délai de mise en valeur : 5 ans nous semblent réalistes au vu des étapes nécessaires à accomplir pour lancer un bon projet agricole (documents, test du sol, présentation et étude du projet à la banque, recherche des associés ou partenaires, études du marché et de faisabilité, contraintes climatiques et infrastructurelles, sélection de la main-d’œuvre, commande et montage des équipements…) ;
9. De la crainte de l’Article 16 de la proposition de loi modifiant et complétant la loi n°11/12 du 24 décembre 2011 portant principes fondamentaux relatifs à l’agriculture : Il n’y a pas à craindre car la loi foncière a tout réglé. La concession perpétuelle est uniquement réservée aux congolais.
A cet effet, l’article 80 du Code foncier dispose ce qui suit : » la concession perpétuelle est le droit que l’Etat reconnait à une personne physique de nationalité congolaise, de jouir indifféremment de son fonds aussi longtemps que sont remplies les conditions de fond et de forme prévues par la présente loi « .
La concession perpétuelle n’est cessible et transmissible qu’entre les personnes prévues à l’article 80 ci-dessus. C’est-à-dire entre congolais.
Quant aux étrangers, les dispositions des articles 110 et 111 sur l’emphytéose du même code seront appliquées. Ils disposent ce qui suit : » l’emphytéose est le droit d’avoir la pleine jouissance d’un terrain inculte appartenant à l’Etat, à la charge de mettre et d’entretenir le fond en valeur de payer à l’Etat une redevance en nature ou en argent » ; » l’emphytéose ne peut être établie pour un terme excédant 25 ans. Ce terme est renouvelable « .
10. De la mise en demeure : nul n’est censé ignorer la loi, les terres agricoles non mises en valeur par les exploitants, devraient rentrer automatiquement dans le cadastre foncier de l’Etat.
11. J’accepte toutes les autres suggestions positives formulées ci-haut en y ajoutant le ministère des PME.
CONCLUSION
Qu’il plaise à l’auguste Assemblée de déclarer recevable la présente proposition de loi et que les Honorables Sénateurs y apportent davantage d’améliorations lors des travaux en Commission en vue de donner à l’agriculture ses lettres de noblesse.
Fait à Kinshasa, le 26 avril 2022
Sénateur Professeur Modeste BAHATI LUKWEBO