La tenaille se referme progressivement sur Alep, deuxième ville de Syrie, dont une partie était jusqu'ici contrôlée par l'opposition armée supposée « non djihadiste ». Une seule voie d'accès vers la frontière turque est encore ouverte. L'aviation russe bombarde sans relâche, permettant aux troupes de Damas, aux milices alaouites et à leurs alliés du Hezbollah libanais de progresser inexorablement, appuyés par des conseillers iraniens. La bataille entraîne la fuite de milliers de civils que la Turquie hésite à laisser entrer sur son territoire où se trouvent déjà plus de deux millions et demi de réfugiés syriens.
« La chute d'Alep constituerait indéniablement une rupture stratégique », estime un bon connaisseur du dossier qui n'est guère optimiste sur un processus diplomatique sous perfusion. Bachar el-Assad paraît donc en passe de réussir son pari de garder la main sur la Syrie utile.
À ce stade de la crise, quatre évidences s'imposent.
Les Russes ne lâcheront pas
Vladimir Poutine a fait le choix de sauver le régime syrien et a engagé des moyens considérables. Sa crédibilité internationale est en jeu. Russes et Occidentaux n'ont pas les mêmes priorités. Les premiers veulent éviter, à tout prix, un effondrement de l'État syrien, comme en Irak ; les seconds cherchent surtout à affaiblir Daech, à défaut de pouvoir l'éradiquer totalement.
Les Russes cloisonnent consciencieusement leur approche diplomatique : ils ne mélangent nullement les problèmes, tout en pratiquant un subtil jeu d'échecs. Ils ont joué franc jeu sur le nucléaire iranien et respectent à peu près les accords de Minsk sur l'Ukraine. « On a tout de même parfois l'impression d'un système de vases communicants : quand ils durcissent leur position sur un dossier, ils l'assouplissent sur un autre », constate un diplomate.
La Turquie navigue en eau trouble
Erdogan, comme ses prédécesseurs, est obsédé par la question kurde et les menaces qu'elle fait peser sur l'intégrité territoriale de la Turquie. Tout le reste, à ses yeux, est secondaire.
La mansuétude d'Ankara vis-à-vis de Daech appartient toutefois au passé après les sanglants attentats commis par les djihadistes. Avec l'Europe, Erdogan fait monter les enchères : l'UE, qui a promis trois milliards d'euros aux Turcs pour les aider à gérer le problème des réfugiés, est manifestement disposée à faire davantage. « De toute façon, cela coûtera moins cher de stabiliser les migrants à l'extérieur de l'Europe que de les laisser entrer », estime un spécialiste.
Au plus mal avec la Russie après qu'un avion russe a été abattu par deux chasseurs turcs le 24 novembre dernier, Ankara soupçonne Moscou d'avoir discrètement réactivé les vieux réseaux de soutien du KGB au PKK du temps de l'Union soviétique. Erdogan rappelle régulièrement que la Turquie est membre de l'Otan et qu'elle peut, en cas d'agression, invoquer l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord pour que l'Alliance vienne à son secours. Tout cela appartient évidemment au registre de la fantasmagorie, personne n'envisageant de déclencher une épreuve de force avec Moscou.
Les pays du Golfe n'ont pas les moyens d'une action terrestre
L'Arabie saoudite, Barheïn et les Émirats arabes unis se sont déclarés prêts à dépêcher des troupes au sol en Syrie dans le cadre d'une coalition conduite par les États-Unis. Officiellement pour lutter contre Daech, en fait pour éviter un effondrement de l'opposition armée syrienne.
Il s'agit au mieux d'un geste politique, au pire d'une rodomontade. Car ces pays n'ont nullement les moyens de monter une telle opération. Personne, d'ailleurs, ne se bouscule pour aller se fourrer dans le chaos syrien, pas plus que dans la pétaudière libyenne, sanctuaire djihadiste en voie de consolidation.
Les Occidentaux sont d'une prudence de serpent
« Assad ne peut constituer une issue en Syrie, mais notre ennemi, c'est Daech », a martelé François Hollande le 17 novembre dernier devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. « Daech est une menace pour le monde, Bachar est une menace pour son peuple », a renchéri Jean-Yves Le Drian. Officiellement, la ligne de la France n'a pas varié d'un iota. « Soutenir Bachar serait non seulement immoral – ce dont on pourrait s'arranger – mais constituerait surtout une erreur politique car cela fournirait du carburant à Daech », dit-on à Paris. Mais les attentats de novembre ont bel et bien changé l'équation politique. Aux yeux de l'opinion publique, le danger vient de l'organisation État islamique, pas d'Assad ou des Russes.
Quant aux Américains, échaudés par l'Irak, ils n'ont aucune intention de s'impliquer directement dans le maelström syrien. Verdict de Barack Obama lors de son ultime discours sur l'état de l'Union, le 12 janvier : « Daech n'est pas une menace existentielle pour l'Amérique. » Fermez le ban.
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