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Des Journées européennes de développement au sommet du G7, Paul Kagame, actuel président en exercice de l’Union africaine, est invité partout, malgré son troisième mandat officiellement obtenu à près de 99% des suffrages exprimés. Même en France, malgré les accusations réciproques et la suppression de l’enseignement du français au primaire, c’est au Rwanda et à sa candidate Louise Mushikiwabo que le président Emmanuel Macron apporte son soutien pour le poste de secrétaire général de la Francophonie. Le Rwanda est présenté comme un modèle de développement pour l’Afrique et le bon élève de la politique de l’aide. Pourtant, tout comme sur la question des droits de l’homme et de la démocratie, de plus de plus de voix se font entendre pour critiquer ce modèle qui exclut des fruits de la croissance des millions de paysans rwandais parmi les plus défavorisés.

La Fédération des agriculteurs et des éleveurs du Rwanda, Imbaraga, ose aujourd’hui le dire tout haut, ce que beaucoup d’observateurs étrangers n’auraient pas cru possible il y a encore quelques mois. « Le gouvernement fait beaucoup d’efforts, mais les agriculteurs rwandais restent les plus pauvres parce qu’ils dépensent aujourd’hui plus qu’ils ne reçoivent », assure son secrétaire général, Joseph Gafaranga. Une déclaration que les experts du régime rwandais jugent exagérée. « Ces paysans sont des assistés, le gouvernement dépense des millions en subventions et en formation », insiste l’un d’eux. Et pourtant la liste des dépenses est longue, de l'achat des semences et des fertilisants à l'imposition de taxes réelles ou illégalement établies par les dirigeants des coopératives ou des autorités locales. Mais des discussions sont en cours entre le gouvernement et la fédération paysanne qui a formulé une série de propositions visant à améliorer les conditions de vie des paysans les plus pauvres, très largement majoritaires dans le pays.

Avec la politique d’intensification des cultures mise en place depuis dix ans, le Rwanda s’est inscrit dans la « révolution verte » âprement défendue par la Banque mondiale et le FMI, maintes fois réformée officiellement pour produire plus de justice sociale, mais toujours aussi critiquée quarante ans pour les inégalités qu’elle creuse et son coût écologique. L’idée de cette « révolution » est simple : avec des semences améliorées et des fertilisants, la production peut croître et nourrit une population toujours croissante. En Asie, entre 1970 et 1995, grâce à l’introduction de nouvelles variétés de blé et de riz, la production agricole a cru de 310 millions à 650 millions de tonnes par an, alors que la population asiatique a plus que doublé.

Pour les détracteurs de la révolution verte, cette politique a eu un coût écologique élevé et aurait même plongé jusqu’à 800 millions d’Asiatiques sous le seuil de pauvreté. Vivre avec moins d’un dollar par jour, c’est le niveau choisi par la Banque mondiale pour définir le seuil de la pauvreté, selon ses plus âpres critiques. Certains de ses défenseurs rétorquent que, sans la Révolution verte, au vu de la croissance de la population mondiale (quatre milliards de plus d’êtres humains), le nombre de pauvres serait plus élevé encore. Le débat est presque aussi vieux que l’idée, même si les Institutions de Bretton Woods promettent à chaque réforme que la redistribution des ressources sera plus équitable.

L’épineuse question des terres

« Il y a beaucoup de rapports d’études là-dessus, ce sont les paysans les plus pauvres qui s’en sortent le moins avec la révolution verte, mais au Rwanda, malheureusement, cela constitue une très grande majorité de la population », explique Chris Huggins, professeur à l’université d’Ottawa. Ce dernier a passé plus de quinze ans à travailler sur l’épineuse question des terres, notamment au Rwanda, il a publié l’an dernier un livre intitulé La réforme agricole au Rwanda : autoritarisme, marchés et zones de gouvernance. Au pays des Mille Collines, la question des terres reste un sujet sensible. Ce n’est que dix ans après le génocide qu’une loi encadrant la propriété a été adoptée, avec pour objectif affiché de renforcer les droits des propriétaires terriens.

Pour enrayer le morcellement des terres, le gouvernement rwandais a interdit de diviser les terres de moins d’un hectare. « Même si c'est une bonne mesure d’essayer d’éviter les subdivisions à l’infini, chaque médaille a son revers », explique un membre de la société civile. « 70% des Rwandais n'ont que ça à transmettre en héritage à leurs enfants ». L’autre mesure qui réduit la possibilité pour le petit paysan de vendre ou de transmettre sa terre, ce sont les 30 000 francs rwandais de frais administratifs, exigés jusqu’ici pour enregistrer le titre de propriété, quelle que soit la taille de la parcelle. Pour le professeur Chris Huggins, cette dernière mesure est de nature à encourager les petits paysans à transmettre illégalement leurs parcelles et à nuire à terme à la fiabilité du cadastre que le gouvernement rwandais a mis quatre ans à constituer.

Avec 500 habitants au kilomètre carré, le Rwanda, c’est Taïwan sans les gratte-ciel, un maillage serré de micro-parcelles cultivées flanquées sur des collines plus ou moins escarpées, des agriculteurs, des éleveurs, des déplacements de populations depuis l’indépendance et des conflits fonciers à foison. Au Rwanda, même les marécages sont mis à contribution, surtout en saison sèche. Seuls les parcs, ses volcans et ses gorilles, sont protégés. Or depuis le génocide de 1994, la population rwandaise a doublé, dépassant les 13 millions d’habitants. Le nombre de terres cultivées au Rwanda croît chaque année.

Une surexploitation sur fond de croissance démographique

Selon le dernier rapport de l’Institut de recherche et de dialogue pour la paix (IRDP), entre 2007 et 2010, le nombre de terres officiellement cultivées a été multiplié par dix. Aujourd’hui encore, la Fédération des paysans et éleveurs du Rwanda demande au ministère de l’Agriculture à pouvoir utiliser les terres disponibles le long des rivières, des lacs, à l’aider à consolider les terres d’altitude. Toutes ces propositions ont été favorablement accueillies par le gouvernement tant la pression sur les terres est forte. « Depuis 2012, les femmes peuvent aujourd’hui hériter au Rwanda, ce qui est une bonne chose, mais cela rajoute encore de la pression », dit Chris Huggins.

Au Rwanda, c’est dans les milieux ruraux que la croissance de la population reste la plus forte. Sur les collines, les femmes continuent de faire cinq à six enfants. « Le nombre d’agriculteurs augmente et la superficie de terres cultivées par famille diminue. Nous avons moins de terres que nos voisins, ça nous rend moins compétitifs, on ne produit pas assez », regrette le patron du syndicat paysan Joseph Gafaranga, quand la production agricole représente déjà 30% du PIB. C’est aussi sur les collines qu’on enregistre les taux de malnutrition chronique les plus élevés chez les enfants de moins de cinq ans, 37% au niveau national, jusqu’à 60% dans certains districts selon les statistiques officielles de 2015. Ces districts défavorisés sont aussi trop souvent ceux qui ont été frappés ces dernières années par la sécheresse, les inondations, les invasions de parasites.

« Si vous comparez la taille des enfants par rapport à leur âge, ils sont très petits, ils ont des problèmes d’anémie, ils ont du mal à suivre à l’école, ils sont condamnés à ne pas être productifs, c’est une génération de perdue », déplore un membre de la société civile. Comme dans les autres pays qui ont adopté la révolution verte, le gouvernement a dû subventionner les intrants pour permettre aux petits producteurs de pouvoir produire plus, visant non seulement l’autosuffisance alimentaire, mais aussi l’exportation. « Comme la densité augmente, il y a une surexploitation des terres qui nécessite d’utiliser beaucoup d’intrants agricoles, en particulier des fertilisants. »

Des prix imposés aux paysans

Le réseau européen pour les Grands Lacs, EurAc, va plus loin, en reprenant tout ce qui fait le socle des critiques de la révolution verte. « Les politiques du gouvernement ont changé de façon radicale la manière dont les Rwandais produisent de la nourriture et cela dégrade leur sécuritaire alimentaire », explique l’un de ses chargés de plaidoyer et chercheur sur le Rwanda, Giuseppe Cioffo. Le sorgho, la banane à bière et parfois même la patate douce, « que l’on peut pourtant récolter toute l’année », ont été remplacés par des cultures destinées à la commercialisation et à l’exportation, un modèle « plus risqué » face au changement climatique, pas adapté à une « agriculture encore vivrière », modèle « trop cher » aussi pour la majorité des Rwandais et avec un coût écologique élevé qui est contraire à toute idée de durabilité. « Il y a des terres érodées, des terres qui deviennent infertiles, des semences qui n’ont pas donné la production promise », martèle le chargé de plaidoyer.

Dans son dernier rapport daté d’avril 2018, l’IRDP partage une partie de ces conclusions, mais soutient que les faiblesses observées sont moins du fait de la politique en elle-même que dans sa mise en œuvre. « On ne peut pas nier que dans la politique d’intensification des cultures (CIP), il y a une vision. Sur le papier, ce modèle se veut équitable », explique son directeur, Eric Ndushabandi. Dans les textes, la CIP est censée permettre aux petits paysans réunis en coopérative de « consolider leur terre », en produisant suivant les instructions du gouvernement une culture désignée comme favorable pour son district.

Au niveau national, toutes ses productions devaient amener à créer une alimentation peu chère et diversifiée pour les Rwandais. Mais selon l’enquête de satisfaction menée par l’IRDP, 47% des paysans interrogés disent ne pas être intéressés par cette politique, persuadés après dix ans de mise en œuvre qu’elle entraînerait des famines ou permettrait à l’Etat de s’accaparer leurs terres. Cette insatisfaction envers les réformes agraires et foncières est même perceptible dans le Citizen Report Card financé par l’ONU et basé sur des statistiques produites par le comité de gouvernance du Rwanda.

Ce que dénoncent les paysans et chercheurs, c’est qu’au Rwanda, sans surprise, on est bien loin du modèle libéral pourtant claironné par les institutions de Bretton Woods. Dans un pays où presque toutes les voix dissidentes ont été réprimées, c’est difficile de négocier. « Le petit paysan n’a pas beaucoup son mot à dire sur le prix des semences, des fertilisants, le prix d’achat des récoltes. Ce sont les gros vendeurs et acheteurs qui les fixent », explique Joseph Gafaranga, secrétaire général du syndicat paysan. Le docteur Eric Ndushabandi renchérit sur ce point : « Il y a deux choses que les coopératives ne doivent pas faire : imposer des contributions supérieures au prix que le paysan va obtenir avec sa récolte ; et elles doivent surtout, comme c’est écrit dans les textes, favoriser les petits paysans et non les grands producteurs ». Pour l’IRDP, il est crucial de rendre le système des coopératives plus attractif, et de mieux vulgariser ses effets positifs, car c’est dans cet espace que se concentrent les interventions du gouvernement, appui technique, formation, subventions.

« Education, éducation, éducation »

Pour la Fédération des paysans et éleveurs du Rwanda, il y a urgence à donner un statut aux agriculteurs, de définir des catégories pour pouvoir adapter les services, alors que trop souvent « même ceux qui n’ont pas de terres, même ceux qui ne travaillent pas ont ce statut », justifie son secrétaire général. Pour Joseph Gafaranga, cette proposition « est aussi avantageuse pour le gouvernement », parce qu’elle permettrait de lister les devoirs des agriculteurs vis-à-vis des terres ou de l’Etat. « Les objectifs de commercialisation et d’exportations sont bons, mais la réalité, c’est qu’au Rwanda, cela reste en majorité une agriculture de subsistance, avec des paysans très attachés à leur terre, à leurs traditions et encore trop peu formés aux nouvelles techniques », commente le docteur Eric Ndushabandi.

Une révolution est pourtant en marche au Rwanda. Selon l’étude menée par l’IRDP, moins de 3% des jeunes de 15 à 24 ans vivent des activités agricoles. Les trois quarts des paysans rwandais ont aujourd’hui entre 35 et 54 ans et ils ont à peine un niveau d’éducation primaire. « Le gouvernement rwandais fait beaucoup d’efforts sur la formation des jeunes et sur la création d’emplois, car c’est le défi d’avenir », souligne le directeur de l’IRDP. Mais ce dernier insiste sur la nécessité de renforcer l’information et la formation des agriculteurs pour « réduire les résistances au changement » : « Je n’ai qu’un mot pour les autorités : éducation, éducation, éducation pour créer des perspectives d’emploi. »

L’autre aspect de cette révolution dans les campagnes, c’est que, selon cette étude, un petit plus de la moitié des agriculteurs possède sa propre terre. Les autres 40% louent ou travaillent sur des propriétés qui appartiennent à des tiers. « C’est l’une des conséquences de cette politique, les paysans s’endettent, ils finissent par perdre leurs terres, doivent travailler pour d’autres pour des salaires souvent très limités »,  explique An Ansoms, professeure à l’université catholique de Louvain. Il est difficile d’évaluer le volume de « paysans sans terres » ni même d’expropriations. Mais la loi autorise les pouvoirs publics depuis 2015 à exproprier des citoyens pour une large palette de motifs, infrastructures « et autres activités sur décret ministériel ».

La hantise de l’expropriation

Selon une étude menée cette fois par la société civile sur les expropriations et transferts des terres, publiée en octobre 2017, le monde agricole, peu informé des lois et des recours, reste le principal touché par ce phénomène, inhérent à la politique du gouvernement rwandais d’un développement à marche forcée, à coup de grands projets pilotés par l’Etat. Si un système de compensation est prévu dans la loi, l’écart entre les villes et les campagnes peut dépasser les 150% et renforce le ressenti vis-à-vis du régime d’une partie des paysans, privés de leurs moyens de substances. « Pour comprendre ce ressenti, il ne faut pas négliger le poids du passé et les interférences permanentes exercées par le régime à la base. Mais cette tension porte moins aujourd’hui sur l’ethnie que sur l’adhésion politique ou non au FPR », explique encore le professeur Chris Huggins.

Depuis presque deux ans, des discussions sont ouvertes entre le gouvernement et les représentants du monde paysan, avec une liberté de ton qui surprennent les partenaires, comme les observateurs étrangers, habitué aux discussions plus policées dans une sphère publique très contrôlée. Pour la professeure An Ansoms, Kigali, comme les bailleurs de fonds, reconnaît jusqu’ici « des couacs » dans la politique agricole, mais n’est pas encore prête à une « remise en cause systémique » plus à même de permettre une meilleure répartition des ressources. « Le gouvernement sait aussi qu’il doit parfois les entendre », car la faim reste « le meilleur catalyseur pour une révolte », estime un observateur avisé. « Il ne peut y avoir deux Rwanda, celui qu’on vend à l’extérieur et la réalité du quotidien », renchérit un responsable de la société civile. « Ces paysans, c’est la majorité de la population, ils peuvent faire disparaître les pauvres dans les villes, mais pas dans les campagnes. Il faut faire avec. »

Avec RFI

 

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